Juridique

Délais de prescription applicables en matière de recours hypothécaire

Maria Cristina Argento, avocate
Chroniqueuse juridique

Outre la possibilité d’intenter une action personnelle afin de recouvrir les sommes qui lui sont dues, le créancier ayant respecté les conditions d’ouverture peut également intenter un recours hypothécaire contre le propriétaire de l’immeuble visé par les travaux afin de prendre en paiement ou bien vendre l’immeuble, pour que sa créance soit payée.

Les faits

En 2011, une entente est intervenue entre Patrick Morin inc. (« Patrick Morin ») et l’entrepreneur, 6642641 Canada inc. (« Canada inc. ») pour l’achat de matériaux de construction. Suivant l’achat de matériaux par Canada inc., cette dernière a fait défaut de payer les factures émises par Patrick Morin. Il est important de retenir que la première facture impayée par Canada inc. datait du 13 novembre 2012 et devait être payée dans les 15 jours, soit le 28 novembre 2012. C’est donc le point de départ du délai de prescription.

Le 29 avril 2013, la facture étant toujours impayée, Patrick Morin a publié un avis de conservation d’une hypothèque légale de la construction contre l’immeuble du propriétaire, Immeubles Prime inc. (« Prime »). Le préavis d’exercice du recours hypothécaire a été publié le 15 juillet 2013, suivi par le recours hypothécaire, intenté le 10 mars 2016. Parallèlement au recours hypothécaire, Patrick Morin intentait également une action personnelle contre Canada inc., le 22 juillet 2015, en recouvrement de sa créance. Le 22 septembre 2015, Patrick Morin obtenait un jugement par défaut en sa faveur, condamnant Canada inc. de lui payer 55 185,23 $. En août 2017, les parties consentaient à substituer l’hypothèque légale par le dépôt d’une somme de 72 463,16 $ par Prime dans le compte en fidéicommis de son procureur.

Le jugement de première instance

Prime conteste le recours hypothécaire intenté par Patrick Morin sous prétexte qu’il serait prescrit puisqu’intenté plus de trois ans après la date d’échéance de chacune des factures.

Le juge de première instance est d’avis que les hypothèses suivantes peuvent être retenues quant à la prescription applicable en matière de recours hypothécaire :

  • Délai de prescription de 10 ans applicable en matière d’exécution de jugement;
  • Délai de prescription de 3 ans applicable au recours personnel dont l’hypothèque est l’accessoire;
  • Délai de prescription de 10 ans applicable au recours visant à faire valoir un droit réel immobilier.

Le juge souligne qu’en vertu de ces 3 thèses, le recours hypothécaire intenté par Patrick Morin ne serait pas prescrit et ordonnait à Prime de remettre à Patrick Morin la somme de 72 463,16 $ détenue en fidéicommis par son procureur.

Le jugement de la Cour d’appel

La Cour d’appel rejette l’appel intenté par Prime et confirme la décision de la Cour supérieure, voulant qu’il y ait deux délais de prescription à respecter en matière de recours hypothécaire. Le premier délai de prescription à respecter est celui de 10 ans applicable aux actions visant à faire valoir un droit réel immobilier. Ce délai s’applique nonobstant le caractère accessoire de l’hypothèque. Cependant, puisque l’hypothèque est l’accessoire qui garantit le paiement d’une créance, elle subsiste que pour autant que la créance qu’elle garantit existe. Conséquemment, si la créance est éteinte en raison de la prescription, le recours hypothécaire accessoire s’éteint également, nonobstant le délai de prescription de 10 ans. Ainsi, le délai de prescription de 3 ans s’applique indirectement au recours hypothécaire.

Dans la présente affaire, le délai de prescription de 3 ans commence à courir à compter de l’échéance de la première facture, soit le 28 novembre 2012. L’action intentée le 22 juillet 2015 est venue interrompre ce délai de prescription. La créance n’étant donc pas prescrite, Patrick Morin bénéficie du délai de prescription de 10 ans pour intenter son recours hypothécaire, soit jusqu’au 28 novembre 2022 . Conséquemment, la Cour d’appel confirme que le recours hypothécaire intenté le 10 mars 2016 n’était pas prescrit et que Prime devait remettre à Patrick Morin la somme de 72 463,16 $.