Selon l’Étude nationale du repreneuriat et du transfert d’entreprise 2015-2021 publiée par le Centre de transfert d’entreprise du Québec (CTEQ) en 2024, les transferts d’entreprise ont augmenté dans toutes les industries au Québec1. Les trois secteurs ayant connu les plus fortes croissances sont le transport et l’entreposage (+10,1 % par an), la construction (+5,5 % par an) et la fabrication (+5,1 % par an). En 2021, 27,9 % des nouveaux propriétaires-dirigeants étaient des femmes, contre 72,1 % d’hommes.
D’après l’Indice entrepreneurial québécois 2022 du Réseau Mentorat2, le taux de démarches entrepreneuriales (création/reprise) est de 6,7 % pour les femmes et de 8,2 % pour les hommes. Parmi les personnes qui entreprennent des démarches de reprise, 32,7 % sont des femmes. La conciliation vie professionnelle et personnelle reste un obstacle majeur pour elles. De plus, avoir un parent propriétaire d’entreprise incite davantage à reprendre une entreprise (55,5 %) qu’à en créer une (32,3 %).
Obstacles du repreneuriat au féminin
Toujours selon l’Indice entrepreneurial québécois 2022 du Réseau Mentorat, les principaux obstacles pour les femmes dans les démarches de reprise sont :
- Le manque d’accès à des experts en fiscalité/comptabilité (29,8 % des femmes contre 22,9 % des hommes).
- Le manque de temps et de soutien de l’entourage, affectant la conciliation vie professionnelle/personnelle.
- Le financement privé insuffisant ou inadéquat, avec les femmes trois fois moins nombreuses que les hommes à envisager un financement gouvernemental.
Qu’en est-il dans le milieu de la construction ?
Le milieu de la construction est un secteur d’activité économique distinct, régi par ses propres lois et ses règles particulières. Considéré comme le secteur le plus traditionnellement masculin, on y retrouve encore trop peu de femmes présentes dans ce milieu. En effet, les femmes représentaient, en 2022, 3,65 % de la main-d’œuvre active totale sur les chantiers de construction selon la Commission de la construction du Québec3. Cette faible représentation est encore l’un des défis majeurs du secteur de la construction au Québec qui est gravement affecté par la pénurie de main-d’œuvre et le manque de repreneurs et repreneuses pour prendre la relève des entreprises.
Malgré les nombreuses initiatives lancées par le gouvernement du Québec pour augmenter le nombre de femmes sur les chantiers, le taux d’abandon des femmes demeure plus élevé que celui des hommes : après un an dans l’industrie, il s’élève à 21 % pour les femmes, alors que celui des hommes se situe à 13 %. Après cinq ans, l’écart se creuse considérablement en s’élevant à 52 % pour les femmes, comparativement à 32 % pour les hommes.
Quant aux femmes entrepreneures et propriétaires d’entreprises dans le milieu de la construction, il n’existe pas de chiffres mentionnant leur nombre. Cependant, selon un rapport de McKinsey, éliminer les obstacles liés au genre et encourager les entrepreneures, tous secteurs confondus, pourrait injecter 12 000 milliards de dollars dans le PIB mondial4.
Alors, augmenter la place des femmes à la tête des entreprises en construction amènera certainement un changement de culture : une plus grande place à la conciliation travail et vie personnelle, et moins de discrimination envers les femmes. Plus il y aura de femmes propriétaires et de femmes cadres au sein des entreprises du secteur de la construction, plus l’industrie verra sa culture se transformer en vue d’offrir un milieu de travail plus égalitaire, prospère et reconnu.
L’École des entrepreneurs du Québec, un soutien précieux pour les femmes repreneuses !
L’École des entrepreneurs du Québec (ÉEQ), grâce à la participation financière du Secrétariat à la condition féminine et en collaboration avec l’Association de la construction du Québec (ACQ), lance un parcours de formation visant à accompagner les femmes qui désirent reprendre une entreprise en construction.
Le parcours Repreneuses en devenir a pour objectif d’accompagner les repreneuses, actuelles et futures, dans leur démarche avec le ou la cédant.e et de développer leurs compétences entrepreneuriales. Le parcours, à faire en ligne à son rythme, comprend 6 modules de formation qui abordent les sujets suivants : comprendre le repreneuriat, faire son étude de marché, bien négocier, le cadre financier et légal et piloter sa transition.
De plus, chaque participante aura accès à 2 heures d’accompagnement personnalisé privé (coaching).
Pour en savoir plus et pour s’inscrire
Des histoires inspirantes de repreneuriat au féminin
Maria Lampanosa, vice-présidente de l’entreprise Les Peintres Multicouleurs, située à Montréal et Josiane Pouliot, pdg de PMI Structures, située à Rimouski, ont toutes les deux repris les rênes de la compagnie de leur père. Elles nous racontent leur histoire.
Maria Lampasona : une continuité qui allait de soi
Maria Lampasona est vice-présidente de l’entreprise Les Peintres Multicouleurs, située à Montréal. Fondée par son père, Giovanni Lampasona en 1988, Maria reprend les rênes de l’entreprise en 2013.
« Je viens d’une famille de peintres. Mon grand-père, mon père et mon oncle sont des peintres. J’ai donc grandi dans ce milieu, raconte-t-elle. Plus jeune, j’allais souvent travailler dans l’entreprise de mon père où j’en ai appris plus sur le fonctionnement d’une entreprise. »
« Plus jeune, je n’étais pas si intéressée par le milieu de la construction. Je suis plutôt allée du côté de l’esthétique et j’ai même travailler dans un salon de beauté dont j’ai été gérante durant 10 ans », poursuit-elle.
En 2013, alors qu’elle avait 35 ans, son père, qui connaissait des problèmes de santé, lui offre de prendre la direction de son entreprise. « C’était cela ou alors il la vendait. J’ai donc accepté de relever le défi. »
Mais avant de prendre complètement la barre de l’entreprise, elle suit son père dans différentes rencontres avec des entrepreneurs et elle visite avec lui les clients de l’entreprise.
« J’ai eu la chance de succéder à mon père qui est depuis longtemps dans le milieu de la construction. Entre autres, il a été l’un des fondateurs de l’ACQ. Moi-même, j’ai été présidente de l’Association des maîtres peintres du Québec, et je siège présentement au CA de l’ACQ Métropolitaine. »
« Le fait que je sois déjà présente auprès des entrepreneurs, qu’ils me connaissaient déjà, m’a grandement aidée lorsque je suis devenue vice-présidente. Il n’y a pas eu de cassure, tout s’est déroulé en douceur », souligne Maria Lampasona, vice-présidente de Les Peintres Multicouleurs.
À compter de 2013, elle s’implique à temps plein dans l’entreprise et elle acquiert sa licence RBQ. « C’est sûr que je n’ai pas d’expérience en tant que peintre. Je m’occupe surtout du côté administratif de l’entreprise. Mais je suis bien entourée par mon équipe, entre autres, par mon directeur de projets, mes gérants de projets, et mes estimateurs. Dès le début, j’ai organisé des rencontres avec les employés deux ou trois fois par an pour mieux apprendre à se connaitre mutuellement et rapidement, j’ai gagné leur confiance et leur respect. »
« Depuis 2020, mon père est semi-retraité. Il passe au bureau quelques fois par semaine et je sais que je peux compter sur lui si j’ai besoin de conseils. Il est toujours là pour aider, pour donner son opinion. »
La place des femmes dans le milieu
« Pour moi, c’est important de laisser de la place aux femmes dans le milieu. Depuis que je suis impliquée dans l’entreprise, on est passé de 2 à 20 femmes employées. J’ai bénéficié de la subvention du Programme d’accès à l’égalité des femmes dans l’industrie de la construction (PAEF). Pour moi, la présence des femmes sur les chantiers apporte un autre niveau de collaboration, plus harmonieux et plus respectueux. D’ailleurs, nous avons une politique de tolérance zéro concernant le harcèlement quel qu’il soit. Il peut arriver que des employées soient victimes de harcèlement sur un chantier. Ça arrive de la part de personnes appartenant à d’autres corps de métier. Lorsque c’est le cas, je me dépêche d’appeler les personnes responsables de ces travailleurs pour dénoncer le problème et m’assurer de le régler. »
Conseils de Maria aux femmes qui désirent devenir entrepreneures
Depuis 2013, Maria supervise son équipe, élabore les politiques de l’entreprise, s’assure de la gestion de la santé et de la sécurité du travail sur les chantiers et développe les nouveaux projets.
« La première chose que je dirais à ces femmes, c’est de s’impliquer le plus possible dans le milieu auquel elles veulent appartenir. Le réseautage permet de se faire connaître et de se faire respecter. »
« Il faut aussi bien connaître le domaine dans lequel on veut démarrer son entreprise. Et, je ne vous le cache pas, une femme doit souvent prouver qu’elle en connaît plus que les autres pour être prise au sérieux, surtout dans un environnement encore dominé par les hommes. Il faut aussi bien s’entourer de gens qui ont l’expertise du milieu pour s’aider. Mon père m’a dit un jour : « Tu es chanceuse que je sois là pour te donner des conseils, moi, lorsque j’avais des décisions à prendre, je parlais aux murs… »
« Finalement, il ne faut pas avoir peur de mettre son pied à terre et de s’affirmer. Une personne sûre d’elle gagne rapidement le respect des autres. »
« Le plus beau compliment que j’ai eu, c’est un entrepreneur qui a dit à mon père : « Ta fille est comme toi ! » Ce qui me permet de dire que je suis vraiment à ma place ! »
Josiane Pouliot : d’estimatrice à pdg
Josiane Pouliot, est pdg de PMI Structures, une entreprise de fabrication de structures d’acier située à Rimouski. L’entreprise a été fondée en 1951 par Raymond Pouliot et reprise en 1988 par son fils, Jean Pouliot. Si elle n’occupe ce poste que depuis le mois de mai dernier, la transition s’est faite tout en douceur.
« J’ai débuté en 2008 en tant qu’estimatrice dans l’entreprise de mon père, PMI Sructures. J’ai une formation en génie civil. Je comprends donc comment sont fabriquées les structures métalliques », souligne Josiane Pouliot.
« Il y a un an, j’ai fait la transition comme directrice générale. C’était une belle promotion, mais ça ne venait pas avec un mode d’emploi ! », souligne-t-elle.
Pour s’aider dans ses nouvelles tâches, elle suit des formations en entrepreneurship et en comptabilité.
« L’entreprise en est une de 3e génération. Je dois donc respecter son histoire, mais j’y apporte ma touche personnelle. Si j’ai pris quelques mois à me sentir à l’aise dans ce poste, j’ai appris à me faire confiance et à respecter qui je suis dans mes façons de faire », poursuit-elle.
Soulignons que depuis son arrivée, Josiane a entre autres repensé le fonctionnement du comité de direction dans le but d’améliorer son agilité.
Le secret de sa réussite
« Aujourd’hui, les gens sont plus ouverts, les mentalités ont changé. Il faut plutôt faire preuve d’agilité face à tous les changements qui surviennent dans l’industrie, poursuit-elle. Pour réussir, il faut faire sa place. Moi, je l’ai faite ma place, il y a 17 ans ! »
« Au niveau de l’entreprise, il n’y a pas vraiment eu de coupure puisque je suis dans l’entreprise depuis longtemps. Tout s’est fait en douceur. Je suis quelqu’un qui est très à l’écoute et je ne considère pas nos victoires comme étant des victoires personnelles, mais bien comme des victoires d’équipe. Il y a des employés qui travaillent pour l’entreprise depuis 30 ans, il existe une belle collégialité au sein de l’équipe et l’ambiance est très bonne », souligne Josiane Pouliot, pdg de PMI Structures.
« Quant aux clients de l’entreprise, ils m’ont envoyé une foule de messages me disant qu’ils étaient fiers pour moi, pour mon père et pour la région. Ça m’a fait chaud au cœur ! »
« Je ressens beaucoup de gratitude envers mon père et mon grand-père de m’avoir permis d’être là où je suis aujourd’hui. »
Conseils de Josiane aux femmes qui désirent devenir entrepreneures
« D’abord, il faut se faire confiance. Il faut aussi bien s’entourer que ce soit des professionnels ou des collègues. En équipe, on va plus loin. Il faut aussi prendre soin de son équipe, leur donner des marques de reconnaissance, car sans eux, l’entreprise ne pourrait pas exister ! »
« Quand je parle de s’entourer, je fais entre autres partie du club EntreChefs PME qui regroupe des hommes et des femmes, qui, comme moi, dirigent des entreprises. C’est un bon endroit pour discuter, partager ses expériences et trouver du support si besoin. »
« Il y a de la place pour tous en entreprenariat. Il faut cependant faire preuve de polyvalence. Une journée, je peux parler avec un employé pour trouver une façon de l’épauler et le lendemain, je discute avec mon banquier. Quand tu es un entrepreneur, il faut bien comprendre que ce n’est pas un travail de 9 h à 5 h, mais 24 h sur 24 ! Il faut aussi faire preuve de curiosité et de créativité pour faire face aux changements. »
Parlant de changements, Josiane fait partie du nouveau CA de l’ACQ. « C’est une nouvelle expérience pour moi. Je me sens privilégiée de faire partie de la nouvelle gouvernance de l’ACQ. La vision du nouveau président Éric Fraser et de la directrice générale Francine Sabourin, permet d’aller de l’avant et d’être plus agiles. C’est tout à fait dans mes cordes ! »
- Etude-nationale-du-repreneuriat-Sommaire-executif.pdf (ctequebec.com)
- L’Indice entrepreneurial québécois 2022 du Réseau Mentorat est présenté par le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie du Québec ainsi que par les partenaires majeurs suivants : la Banque Nationale, la Caisse de dépôt et placement du Québec, Familles en affaires – HEC Montréal, l’Institut d’entrepreneuriat Banque Nationale – HEC Montréal et l’Ordre des CPA du Québec. L’Indice 2022 est réalisé en partenariat avec le Centre de transfert d’entreprise du Québec, Evol et Léger.
- Les femmes dans la construction – Portrait statistique 2022 (ccq.org)
- État des lieux de l’entrepreneuriat féminin au Canada 2022 (wekh.ca)