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Gestion d’une entreprise de construction : défis et solutions

Association de la construction du Québec
Actualités de la construction

Au Québec, le secteur de la construction est composé d’une majorité de petites entreprises. Ce qui signifie que les dirigeants doivent jongler non seulement avec l’opération de leurs chantiers, mais aussi avec les rouages de la gestion d’une organisation. Planification stratégique, développement de projets, gestion des liquidités ou de l’approvisionnement : comment relever ces défis au quotidien ? Conseils d’experts.

« Bien souvent, les entrepreneurs dirigent leur organisation comme une machine à générer de la marge, plutôt que de réfléchir à la direction qu’ils veulent prendre », lance d’emblée Claude Palmarini, directrice formation chez GPBL, un cabinet de service-conseils en gestion de projet.

Pourtant, estime-t-elle, savoir où on s’en va permet de prendre des décisions plus éclairées et de penser au-delà des simples questions de coûts.

« Souvent, quand je rencontre un dirigeant, je vais lui demander s’il a déjà perdu de l’argent dans un projet, raconte Claude Palmarini. S’il me répond oui, je lui demande si c’était un choix. Et les trois quarts du temps, il me regarde étrangement, parce qu’il ne comprend pas qu’on puisse décider cela. » Mais il ne faut pas oublier que faire évoluer une entreprise peut comporter quelques risques… calculés. Ainsi, on peut très bien décider de fonctionner à perte pour développer un nouveau marché, une expertise, etc. L’important est d’avoir sa stratégie en tête et de la partager avec les membres de son équipe, pour que tout le monde ait conscience de l’importance de ces projets sur l’avenir de l’organisation.

Carolyne Filion

« L’important est d’avoir sa stratégie en tête et de la partager avec les membres de son équipe, pour que tout le monde ait conscience de l’importance de ces projets sur l’avenir de l’organisation. »

Claude Palmarini, Directrice formation  chez GPBL 

© GPBL

Bien planifier

De même, il ne faut pas perdre de vue les différentes étapes d’un projet pour améliorer la performance de son organisation. « Dans le domaine de la construction, les gars sont portés à se lancer super rapidement dans l’exécution. C’est normal, puisqu’ils aiment ça et qu’ils sont bons là-dedans. Mais ils ont tendance à escamoter d’autres actions, comme la planification », constate pour sa part Audrey Dubois, directrice service-conseil en gestion de projet chez GPBL.

Or, il est important de bien planifier ses activités, surtout pour les organisations qui visent la croissance. « On peut commencer par utiliser des outils aussi simples que de créer un échéancier avec des dates précises. Une planification qu’on peut revoir aux deux semaines », suggère la directrice.

« Le fait de bien prévoir les différentes étapes permet de prendre plus de projets et de mieux utiliser ses ressources, affirme aussi Audrey Dubois. Plus encore, cet échéancier permet une exécution plus fluide, plus agréable. Quand les grandes lignes sont déterminées à l’avance, que les objectifs sont clairs, cela permet à toute l’équipe de savoir où elle s’en va, d’avoir les informations pour prendre les bonnes décisions et de travailler dans le même sens. »

Carolyne Filion

« Quand les grandes lignes sont déterminées à l’avance, que les objectifs sont clairs, cela permet à toute l’équipe de savoir où elle s’en va, d’avoir les informations pour prendre les bonnes décisions et de travailler dans le même sens. »

Audrey Dubois, directrice service-conseil en gestion de projet  chez GPBL 

© GPBL

Prendre la mesure

Autre défi important : améliorer sa performance. Conseiller d’affaires principal chez BDC Services-conseils, Éric Trudeau en sait quelque chose. Chaque semaine, il accompagne des entrepreneurs de différents secteurs, notamment en construction, qui désirent optimiser leur efficacité opérationnelle. « Nous aidons les organisations à être plus efficaces, à augmenter leurs capacités, pour amener de la valeur ajoutée. »

Pour cela, il faut déterminer des objectifs et structurer ses opérations pour être en mesure de les atteindre. « Il peut être difficile pour les dirigeants d’établir des objectifs opérationnels qui vont les mener aux résultats financiers qu’ils se sont fixés, concède Éric Trudeau. C’est un défi, à cause de caractère très variable d’un projet à un autre, en fonction des ressources ou des spécificités des projets. » Toutefois, il conseille de décortiquer ses activités pour déterminer des cibles mesurables. « Par exemple, si on sait qu’on ne gagne que 20 % de nos soumissions et qu’on vise un million de vente, on doit effectuer pour cinq millions de soumissions », illustre-t-il.

Ces indicateurs de performance permettent ensuite de prendre le pouls de différents éléments à court terme, comme les délais, les coûts, le nombre de jours sans accidents de travail, la mobilisation du personnel, etc. « Des mesures à prendre de façon très régulière, précise Éric Trudeau, que ce soit toutes les semaines ou tous les jours. Ces cibles, si on les atteint au quotidien, vont faire en sorte de générer les profits, les ventes et la performance financière qu’on cherche à atteindre. Et cela permet de réagir très rapidement si on n’atteint pas nos fins, car on s’en rend vite compte. »

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© BDC

Communiquer pour mobiliser

Si les indicateurs de performance sont primordiaux, la communication fluide dans l’entreprise l’est tout autant pour atteindre la performance, estime Éric Trudeau. Un enjeu d’autant plus important dans le domaine de la construction, où les chantiers – et donc les équipes – sont décentralisés. « Plusieurs organisations éprouvent des difficultés avec la gestion de l’information. Comment va-t-elle circuler au jour le jour et même d’heure en heure ? », se demande-t-il.

Or, il est essentiel de maintenir des points de contacts réguliers avec les employés sur le terrain, qui sont un peu les yeux et les oreilles de l’équipe dirigeante. « Souvent, on se rend compte qu’il n’existe pas de structure formelle de communication dans l’entreprise, ce qui fait qu’on se retrouve toujours un pas en arrière, en train de gérer les urgences ou de faire du rattrapage parce qu’on a manqué une information », observe le conseiller.

De plus, le fait d’être tenu au courant quotidiennement de ce qui se passe sur le terrain permet de réagir vite en cas de pépin. C’est pourquoi les dirigeants ont tout intérêt à se montrer proactifs dans cette collecte d’informations. « Nous préconisons des rencontres régulières, à fréquence rapide, par exemple en début de quart de travail. Il faut aussi prévoir des moments dans la journée pour répondre aux questions des employés et planifier les prochaines étapes avec eux. Le fait de maintenir plusieurs points de contact est donc essentiel. »

Plus encore, Éric Trudeau propose de profiter de l’occasion pour consulter ses employés. « Il ne faut pas simplement communiquer nos objectifs aux travailleurs, mais aussi faire le plein d’idées avec eux pour améliorer la performance, car ce sont eux les vrais experts ! » Un point de vue que partage Claude Palmarini, qui estime, pour sa part, que la responsabilisation est cruciale dans la gestion d’un projet – et d’une entreprise. « Il faut arrêter de voir les rencontres comme une perte de temps, mais plutôt comme une façon de mieux planifier, de s’organiser et de faire le plein d’idées pour s’améliorer », souligne-t-elle.

« D’ailleurs, les dirigeants sautent trop souvent d’un chantier à l’autre, sans moment de réflexion, observe-t-elle. Pourtant, il est crucial de revenir avec ses équipes sur les projets terminés pour analyser comment optimiser ses méthodes, ses processus et ses procédures. Quand on clôt un dossier, il faut vraiment se questionner sur ce qu’on a fait, comment on l’a fait, qu’est-ce qui a été bon ou pas, comment on pourrait faire mieux la prochaine fois. C’est dans ce processus d’amélioration continue qu’on peut générer de la valeur ajoutée. »

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L’équipe de GPBL© Sonia Guertin photographie

Gérer ses liquidités

Qu’il s’agisse de gérer un projet ou un budget, les mêmes principes de base s’appliquent. « Il faut d’abord être capable d’avoir un point de vue global sur sa situation financière, explique Jean-Michel Parizeau, vice-président de pratique, conseil en trésorerie chez Raymond Chabot Grant Thornton. Ce qui se complexifie à mesure que les contrats se multiplient.

Entre les comptes payables et recevables, les factures qui sont payées selon un échéancier différent d’un client à l’autre, les honoraires des sous-traitants et l’inventaire, il est facile de perdre le fil. C’est pourquoi Jean-Michel Parizeau conseille d’abord aux entrepreneurs de mettre en place un processus pour conserver la trace de leurs transactions, par exemple en passant à un mode de paiement électronique.

De plus, il existe plusieurs systèmes de gestion de trésorerie qui permettent de garder un œil sur sa situation financière à court, moyen et long terme. Ce qui peut aussi être utile pour obtenir du financement, alors que plusieurs solutions s’offrent actuellement aux entrepreneurs avec la COVID-19, précise le vice-président.

Quand il s’agit de gérer ses finances, il faut également mettre ses équipes au diapason, avertit le conseiller. En effet, les employés ne sont pas toujours sensibles aux impacts de leurs actions sur l’état du budget de l’entreprise. « Je pense par exemple à un électricien qui cherchait une pièce difficile à trouver pour une réparation. Mais au lieu d’en acheter une seule, il en a pris quatre. Il vient donc de dépenser pour quatre pièces, dont trois finiront dans son entrepôt, ce qui a un impact négatif sur ses liquidités. » Idem pour le matériel accumulé dont on ne fait l’inventaire qu’une fois par année. Des petites dépenses qui, mises bout à bout, peuvent peser lourd sur le bilan financier de l’entreprise.

La planification permet aussi de poser un regard plus global sur ses activités et de générer des économies d’échelle, affirme l’expert. « On a souvent tendance à gérer un chantier à la fois, mais est-ce que c’est possible de réfléchir à une planification plus globale de ses activités ? Quand c’est le cas, je peux peut-être négocier avec mon fournisseur de ciment les termes de paiement. Si je le paie après 30 jours, est-ce que je peux obtenir un rabais ou est-ce que je peux étaler les montants à payer si je commande un certain volume ? Cette réflexion permet de prévoir ses dépenses en fonction de ses revenus et d’éviter les mauvaises surprises. »

« Dotez-vous d’outils, de processus pour gérer vos payables, vos recevables et votre inventaire, parce que cette gestion manuelle de vos finances n’est pas viable à long terme, conclut Jean-Michel Parizeau. Et, dans un contexte de croissance, il ne faut pas hésiter à aller chercher de l’aide extérieure, en embauchant un directeur financier, et, éventuellement en instaurant un processus de gestion par projet. »

Carolyne Filion

« La planification permet aussi de poser un regard plus global sur ses activités et de générer des économies d’échelle. »

Jean-Michel Parizeau, vice-président de pratique, conseil en trésorerie chez Raymonf Chabot Grant Thornton

© RCGT

Se faire accompagner

Que ce soit pour améliorer sa performance, mieux tenir les rênes de son budget ou travailler en mode gestion de projet, il peut être difficile d’y arriver seul. C’est pourquoi il existe des services de consultation, des formations ou des ressources à l’externe pour aider les entrepreneurs dans ces différentes étapes et opérations.

Un exercice qui en vaut la peine, puisqu’il s’agit d’un investissement à long terme, indique Éric Trudeau. Chez BDC, les entreprises qui se sont tournées vers cet accompagnement pour augmenter leur efficacité opérationnelle ont enregistré des gains en productivité tournant autour de 15 à 20 %, estime-t-il. « Et cela augmente non seulement la profitabilité, mais aussi la valorisation de la compagnie, en plus de contribuer à la mobilisation du personnel. » Autant d’atouts dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre !

Cet article est aussi disponible en format audio : Construire, le balado