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Des tours maraîchères pour Jaypee Greens Sports City, en Inde

Association de la construction du Québec
Actualités de la construction

Photos : VINCENT CALLEBAUT ARCHITECTURES, PARIS

Nous vous présentons le projet Hypérions de la firme d’architectes Vincent Callebault. Il s’agit de tours-arbres biosourcées construites en bois lamellé-croisé (cross-laminated timber, CLT).

Bienvenue dans cet écoquartier vertical à énergie positive baptisé Hypérions. Ce projet de tours maraîchères, enracinées dans les terres de Jaypee Greens Sports City, a été conçu en collaboration avec des architectes, des ingénieurs agronomes et des agriculteurs dans la double perspective de la décentralisation énergétique et de la désindustrialisation alimentaire. Elle vise à réconcilier la renaturation urbaine et le développement agricole artisanal avec la protection de l’environnement et de la biodiversité. Quatrième grenier agricole mondial, l’Inde regroupe 17,6 % de la population mondiale. Les défis de densité, d’économie du territoire et d’écologie sont de taille. Les intervenants veulent prouver aux décideurs qu’il existe des liens stratégiques à mettre en œuvre entre le changement climatique, l’alimentation durable et le développement urbain.

Jaypee est une ville nouvelle comprise dans la NCR (National Capital Region) de Delhi, l’une des plus grandes métropoles au monde comptant plus de 50 millions d’habitants. En Inde, la National Capital Region est la désignation pour l’agglomération ou zone métropolitaine qui englobe New Delhi ainsi que les zones urbaines l’entourant dans les États voisins d’Haryana, d’Uttar Pradesh et du Rajasthan. Situé sur l’autoroute Yamuna entre New Delhi et Agra, cette ville est connue pour accueillir annuellement le Grand Prix indien de Formule 1 sur le Buddh International Circuit, pour son stade de cricket, son stade de hockey et son académie des sports répondant tous aux standards internationaux. Trop bétonnée et polluée, l’ambition des promoteurs est de la métamorphoser en ville pionnière de l’agroécologie urbaine !

Réinventer un nouveau modèle humain et urbain de croissance verte respectant l’environnement écologique et sociologique, tel est le défi. Dans l’environnement indien asphyxié, il faut envisager d’autres manières de produire durable pour abriter et nourrir la population croissante. Il y a eu l’âge du charbon, de l’acier, du pétrole et des minerais ensuite celui de la chimie. Le XXIe siècle sera celui du vivant et de la biologie ou ne sera pas !

De nouveaux « Urbaculteurs » au service de l’agroforesterie et de la permaculture urbaines !

À Jaypee, on commence à cultiver la ville comme un écosystème biomimétique en assumant sa densité et en l’hybridant avec la nature. La ville est un territoire d’innovations sociales. On voit dans la municipalité une nouvelle dynamique de projets urbains écoresponsables construits à partir de matériaux biosourcés, embarquant les énergies renouvelables de pointe et les techniques ancestrales de bioclimatisme. Le tout foisonnant au cœur d’une agriculture urbaine invasive basée sur l’agroforesterie et la permaculture dans toutes les rues et à tous les étages des immeubles ! Le projet Hypérions est la première efflorescence tel un laboratoire collaboratif à ciel ouvert.

Tout autour du projet, sur les parcelles cultivables voisines, les agrosystèmes et les écosystèmes fusionnent, prônant le respect de la nature et la protection de la santé des habitants par un modèle de production plus économe en intrants chimiques et en énergie, mais pouvant atteindre un rendement de plus de 20 kg de fruits et légumes biologiques par mètre carré par an.

Le projet Hypérions est constitué de 6 tours-arbres, chacune comportant 36 étages, de logements et de bureaux. Elles sont construites en bois lamellés-croisés structurel (CLT) et sont recouvertes elles aussi de jardins maraîchers. Elles tirent leur nom de l’arbre le plus haut du monde, l’Hypérion. C’est un séquoia à feuilles d’if de Californie dont la taille est de 115,55 mètres.

Le projet Hypérions est constitué de 6 tours-arbres, chacune comportant 36 étages, de logements et de bureaux.

« Tout le bois nécessaire à l’édification de nos tours-arbres provient d’une forêt de Delhi gérée elle aussi durablement dans laquelle nous prenons soin de renouveler ce que nous prélevons en respectant un cycle de coupes approprié selon sa capacité de régénération. J’aime rappeler qu’avec ses 68 millions d’hectares de forêt couvrant 23 % de son territoire, l’Inde fait partie des 10 pays les plus boisés sur Terre et est le deuxième producteur mondial de fruits et légumes. Plongés dans le smog de New Delhi, ces forêts qui séquestrent le carbone atmosphérique, nous avons aujourd’hui le devoir de les préserver plus que jamais. Effectivement, durant la croissance d’un arbre, un mètre cube de bois peut stocker jusqu’à 0,9 tonne de CO2 atmosphérique », indique Vincent Callebault, architecte.

Ce trésor vert, les architectes ont voulu le magnifier en construisant des immeubles de grande hauteur – en bois – car c’est le matériau qui offre la meilleure empreinte environnementale au cours de son cycle de vie : de sa récolte à son recyclage en passant par son transport, sa fabrication, sa mise en œuvre, sa maintenance et sa réutilisation.

Ses procédés de fabrication requièrent moins d’énergie et sont beaucoup moins polluants que celui de matériaux classiques tels que l’acier et le béton qui ont un impact négatif sur l’environnement. En substituant ces matériaux par le bois, on évite l’émission de CO2 jusqu’à 1,1 tonne par mètre cube. Finalement entre sa capacité de séquestration lors de sa croissance d’une part et sa faible émission durant ses processus de fabrication d’autre part, un mètre cube de bois présente donc une économie globale de 2 tonnes de CO2 !

Pour optimiser la structure des habitats, les ingénieurs ont opté pour une structure mixte : infrastructure en acier-béton pour les fondations antisismiques, les stationnements et la base des noyaux verticaux. Superstructure en poteaux, poutres et panneaux en bois massifs, le tout renforcé par des lames en acier à l’articulation des poteaux et des poutres. Chaque composant en bois structurel est constitué d’une multitude de planches empilées perpendiculairement les unes aux autres et reliées soit par des goujons soit par des adhésifs structuraux biologiques. Le squelette des Hypérions est ainsi composé de 25 % de matériaux inertes et de 75 % de matériaux biosourcés. Cette structure mixte est reconnue pour ses fortes résistances mécaniques notamment en cas de séisme, sa haute résistance au feu et pour ses grandes performances acoustiques et thermiques.

Un projet à énergie positive optimisant son empreinte environnementale !

« Le bois, naturel et renouvelable par définition, a ainsi permis de minimiser « l’énergie intrinsèque » des matériaux qui ont servi à la construction des six tours-arbres. Dans l’optique d’une empreinte environnementale neutre, nous avons voulu aller encore plus loin en produisant in situ « l’énergie d’opération » (pour l’éclairage, la climatisation, l’eau chaude, etc.) tout en recyclant sur place tous nos déchets organiques liquides ou solides en ressources naturelles recyclées et recyclables en boucles fermées », a souligné M. Callebault.

Sur les tours, des écailles bleutées solaires photovoltaïques et thermiques enrobent les façades en suivant la course du soleil d’est en ouest. Ces capteurs solaires surlignent également les rives des principaux balcons et pixélisent les dômes vitrés des serres bioclimatiques. La production d’eau chaude sanitaire et l’éclairage artificiel sont ainsi assurés. Même les voitures électriques sont rechargées en temps réels par ces façades solaires ! De plus, des lampadaires éoliens viennent scander la large ceinture verte qui longe le site. Ils produisent leur propre électricité grâce à des éoliennes axiales à sustentation magnétique intégrées sur leur mat.

Les six tours-arbres forment finalement un véritable village vertical avec une haute mixité sociale, culturelle et fonctionnelle. Les espaces flexibles et évolutifs dédiés aux incubateurs d’entreprises, aux « livings-labs », aux espaces de travail partagé, aux salles polyvalentes, aux conciergeries sont implantés derrière les façades solaires. À l’inverse, les appartements, du plus petit au plus grand, et les résidences étudiantes s’ouvrent sur les cascades de balcons hydroponiques. Le mobilier intérieur fabriqué en matériau naturel – comme le tamarin et le santal – provient des ébénisteries, des laboratoires de fabrication et des recycleries voisines.

Toutes les fonctions sont reliées entre elles par des passerelles et unifiées en leur sommet par une grande toiture-verger, véritable lieu de rencontre de la petite communauté d’Urbaculteurs que nous formons désormais. Au gré de l’été, des moussons et de l’hiver, les familles peuvent s’y retrouver pour y cueillir leurs fruits, faire leur jogging, se dépenser sur le terrain de kabaddi (sport populaire dans toute l’Asie du Sud et de l’Asie du Sud-Est, au Japon et en Iran) dans le gymnase, se baigner dans la piscine biologique et veiller sur les enfants qui font des parties de kho (autre sport traditionnel) sur les aires de jeux. Ces passerelles communes sont irriguées en récupérant les eaux de pluie et les eaux grises rejetées par les habitants. Les nutriments organiques de ces eaux filtrées sont absorbés par les racines des plantes. Toutes ces promenades suspendues dans le ciel permettent de passer d’une tour à l’autre, d’une fonction à une autre, et de tisser du lien social et solidaire entre les voisins.

Du Rajasthan, Jaypee hérite ses températures très élevées et ses sécheresses, tandis que les courants glaciaux venus de l’Himalaya expliquent les hivers parfois rigoureux. Pour ventiler naturellement ces espaces de vie dans un climat principalement subtropical, chaud et humide, un système de climatisation naturelle a été mis en place. Ce système intègre le long des noyaux de circulations verticales des cheminées à vent. Celles-ci profitent de l’inertie thermique de la terre – sous les fondations – stable toute l’année à 18 degrés. Par courant d’air naturel, l’air extérieur – atteignant 45 degrés en été et chutant jusqu’à 3 degrés en hiver – est ainsi naturellement rafraîchi ou réchauffé au contact de la terre. Et cela sans utiliser un seul kilowatt d’électricité.

La fusion « forêt + agriculture + urbanité » est une alternative humaniste mariant le meilleur de la ville et de la campagne. De l’agroforesterie à la construction bois en passant par la permaculture et l’aquaponie, le projet Hypérions est le symbole d’un circuit économique court basé sur l’exploitation des ressources locales. Ce circuit vertueux crée des liens entre les producteurs locaux et les « consom-acteurs ». Habitants, agriculteurs biologiques, paysans maraîchers, agroécologues, exploitants forestiers, ingénieurs agronomes, architectes et designers, tous s’inscrivent dans un processus durable de production, de distribution, de consommation et de recyclage.

Selon les Urbaculteurs, convertir l’agriculture mondiale aux techniques biologiques et l’industrie de la construction aux matériaux biosourcés permettrait de réduire relativement de 40 % les émissions mondiales de gaz à effet de serre d’ici 2030. Hyperions est donc un projet d’agroécosystème résilient capable de résister aux dérèglements climatiques grâce à la bonne santé des écosystèmes économiques et environnementaux.