Actualités

La crise de l’habitation : y a-t-il une solution ?

Association de la construction du Québec
Actualités de la construction

Article écrit par Guillaume Houle, en collaboration avec Suzanne Le Comte

Le temps presse. De nombreux ménages se retrouveront bientôt sans logement. Des jeunes devront renoncer à leur projet d’études dans nos cégeps et universités faute de trouver un logement abordable dans les villes étudiantes du Québec. Des entreprises verront leur croissance freinée. Pourtant, depuis plus d’un an, des acteurs du milieu de l’habitation se sont mobilisés pour demander un état des lieux et un plan d’action concerté au gouvernement.

Où en sommes-nous aujourd’hui ? Quelles actions ont été mises de l’avant par les différents paliers de gouvernement et les différentes parties prenantes de l’habitation ? Que reste-t-il à faire ?

ACQConstruire a préparé pour vous un état des lieux et vous propose un portrait complet de la crise de l’habitation au Québec.

article dossier habitation risque

Un déficit de mises en chantier difficile à combler

Dans son rapport publié au printemps 2024, la SCHL indique que la hausse des taux d’intérêt amorcée au début de 2022 pour lutter contre l’inflation a affaibli la croissance économique, ce qui a eu une incidence sur le marché de l’habitation. L’augmentation des taux hypothécaires a nui aux acheteurs potentiels. Résultat : la demande de logements pour propriétaires-occupants a baissé. La hausse des taux d’intérêt a aussi rendu difficile l’accès au financement pour les constructeurs et les promoteurs. La construction d’immeubles relativement petits, comme les maisons individuelles, a alors immédiatement ralenti.

Rappelons que le Québec fait face au plus bas taux d’inoccupation enregistré en plus de 20 ans. Il se situe à 1,3 % au Québec en 2023, un creux préoccupant puisqu’un marché en équilibre se situe autour de 3 %, selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL).

Pour retrouver cet équilibre et faire face aux défis démographiques, ce sont 620 000 unités de logement qui doivent être livrées d’ici 2030 au Québec, selon la SCHL.

Maintenant que la Banque du Canada a baissé son taux directeur d’un quart de point, les mises en chantier d’habitation, tous logements confondus, ont augmenté de 39 % en mai, par rapport au même mois de l’année précédente au Canada, selon la SCHL. Au Québec, on a enregistré 4 940 nouvelles mises en chantier au cours de ce même mois, ce qui représente un gain de 150 % par rapport à mai 2023. Sur une base désaisonnalisée et annualisée, le nombre de nouvelles mises en chantier s’est élevé à 51 691 en mai.

Ces données, bien qu’encourageante, nous place toutefois encore très loin derrière les 100 000 mises en chantier annuelles souhaitées par la SCHL.

Un risque pour l’économie du Québec

Selon une étude publiée par KPGM en mars 2024, presque tous les chefs d’entreprise du Québec (96 %) étaient d’avis que le logement devait être la grande priorité du gouvernement fédéral, le qualifiant de plus grand risque pour l’économie.

L’enquête menée auprès de 112 petites et moyennes entreprises québécoises révèle que 9 entreprises sur 10 affirment que la hausse du coût de la vie, attribuable en grande partie au coût de logement, les oblige à payer davantage pour leur main-d’œuvre et nuit à leur capacité d’attirer et de retenir des talents qui se font déjà rares.

L’étude révèle que le milieu des affaires du Québec souhaite voir davantage de solutions novatrices en matière de logement dans les secteurs public et privé, près de 9 personnes sur 10 (88 %) affirmant qu’une collaboration entre les secteurs public et privé sera nécessaire.

article dossier habitation budget federal

Des solutions et des actions parcellaires

Plusieurs mesures ont été mises en place par les différents paliers de gouvernement dans le but de trouver des solutions à la crise de l’habitation. Cependant, l’efficacité de celles-ci demeure limitée par l’absence d’un plan de match unifié.

PL 31 – De nouveaux pouvoirs aux villes pour accélérer la réalisation des projets

En février 2024, la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, mettait en place une mesure exceptionnelle d’accélération des mises en chantier des projets d’habitation. Pour répondre à la crise actuelle et accélérer la construction de logements, cette mesure donne un pouvoir exceptionnel aux municipalités. En effet, cette nouvelle mesure permet, de manière temporaire, aux municipalités d’autoriser des projets d’habitation en dérogation à leurs règlements d’urbanisme, par résolution. Il faut toutefois que ‎la majorité du projet soit constituée de logements sociaux ou abordables ou de logements pour étudiants. De plus, pour une ville de plus de 10 000 habitants et avec un taux d’inoccupation en bas de 3 %, le pouvoir des maires s’étend à tout type de projet.

Après les consultations publiques, les villes pourront ainsi passer outre tous les processus d’approbation : comité consultatif d’urbanisme, comités de démolition et surtout un référendum.

Des milliards pour le logement dans le dernier budget fédéral

De son côté, le gouvernement fédéral annonçait dans son budget 2024, plusieurs mesures clés, notamment : la création du Fonds canadien pour les infrastructures liées au logement de 6 milliards de dollars, l’ajout de 15 milliards de dollars au Programme de prêts pour la construction d’appartements, le soutien aux locataires via le nouveau Fonds canadien de protection des loyers de 1,5 milliard de dollars, et l’investissement de plus de 600 millions de dollars pour faciliter et accélérer la construction de logements.

Le gouvernement fédéral annonçait du même coup qu’il souhaitait rendre disponible un total de 3,87 millions de nouveaux logements d’ici 2031. Pour réaliser ce projet ambitieux, le gouvernement a annoncé une série d’outils et de mesures pour faciliter la construction de nouveaux logements.

En outre, le gouvernement canadien permettra de libérer des terrains et des sites fédéraux pour construire de nouvelles habitations, la construction des logements sur des terrains de Postes Canada et la cession de certains terrains de la Défense nationale pour la conversion en logements. De plus, le gouvernement vise à alléger les formalités administratives qui entravent la construction et souhaite favoriser l’adoption de techniques innovantes.

Cette annonce fait suite à l’annonce faite en novembre par le premier ministre du Canada Justin Trudeau et du premier ministre du Québec, François Legault qui annonçaient un investissement de 1,8 G$ pour le logement abordable.

Selon les 2 premiers ministres, le coût moyen de construction d’un logement est de 225 000 $ et la somme annoncée devrait permettre de construire 8000 logements sociaux et abordables – d’ici quatre ans, – dont 500 qui seront réservés à des clientèles itinérantes ou à risque de le devenir.

Enfin, en juin 2024, le gouvernement fédéral a lancé un nouveau programme de 1,5 milliard de dollars pour bâtir une nouvelle génération de coopératives d’habitation. Le programme permettra de construire des milliers de nouveaux logements coopératifs d’ici 2028. Les projets qui visent à fournir un logement à ceux qui en ont le plus besoin seront priorisés.

article dossier habitation villes

Des villes se dotent d’une vision et s’attaquent à la lourdeur administrative

Afin de pallier le manque de logements, plusieurs villes se sont dotées d’un plan d’action afin d’en accélérer la construction.

Ville de Trois-Rivières

Par exemple, la Ville de Trois-Rivières a établi une politique d’habitation après une vaste consultation publique. Les actions clés soulevées dans cette politique sont échelonnées jusqu’en 2027. « Face à la crise de l’habitation, il peut être tentant d’entreprendre des mesures drastiques pour augmenter l’offre de logements. Ces mesures sont importantes, mais la crise actuelle ne doit pas faire en sorte que l’on tombe dans le piège de la croissance urbaine à tout prix. Ainsi, la présente politique reconnait l’importance que les solutions à la crise de l’habitation soient en adéquation avec les orientations et objectifs des outils de planification urbanistique et soient soutenables à long terme. Par conséquent, la lutte à l’étalement urbain, la densification et les principes de développement durable demeurent au cœur de la politique d’habitation de Trois-Rivières, » peut-on lire dans le document préparé par la ville.

Ville de Québec

De son côté, la Ville de Québec a mis sur pied un plan de mise en œuvre accéléré qui s’étend jusqu’en 2026. Pour ce faire, elle s’est dotée de 5 objectifs :

  1. Accélérer la construction de logements pour tous les types de ménage
  2. Créer des milieux de vie inclusifs, durables et résilients face aux changements climatiques
  3. Faciliter la réalisation de nouveaux projets de logements sociaux et abordables
  4. Consolider le parc de logements existants
  5. Exercer un leadership mobilisateur en habitation.

Ville de Rimouski

La Ville de Rimouski a aussi mis de l’avant un plan de lutte contre la pénurie de logements. Douze actions seront mises en œuvre lors des deux prochaines années dans le but de stimuler les mises en chantier d’unités résidentielles, qu’elles soient locatives, de propriété, sociale ou abordable. Les développeurs de Rimouski projettent de réaliser plus de 2 300 unités à Rimouski d’ici cinq ans.

Ville de Longueuil

La Ville de Longueuil a également élaboré une stratégie d’habitation qui comprend trois axes :

  1. Augmenter l’offre de logements
  2. Protéger l’abordabilité existante
  3. Assurer l’accès à un logement de qualité.

Ville de Montréal

S’inspirant des conclusions du rapport de Chantier Montréal abordable, qui réunit une douzaine d’acteurs privés, publics et communautaires de l’immobilier, la Ville de Montréal a annoncé en mai dernier deux mesures destinées à augmenter la construction de logements abordables. La mairesse Valérie Plante a déclaré que la Ville s’engage à adopter, au courant de la prochaine année, une cible de 120 jours maximum pour l’émission des permis de construction et de transformation pour les projets résidentiels de plein droit.

article dossier habitation milieux economiques

Des milieux économiques se prennent en main

En avril 2023, l’Association de la construction du Québec (ACQ), l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ), la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ) et l’Institut de développement urbain du Québec (IDU) ont entrepris une tournée municipale afin de sensibiliser les maires et mairesses à l’importance de travailler conjointement pour sortir de la crise du logement. Cette tournée municipale avait pour but de trouver des solutions visant à stimuler davantage la construction de logements et à revoir les nombreux mécanismes qui freinent les mises en chantier.

De son côté, la Fédération des chambres de commerce du Québec réclame à son tour un chantier national sur le logement afin d’accélérer la construction d’habitations dans la province. La Fédération des chambres de commerce, qui représente plus de 45 000 entreprises, presse Québec et les municipalités d’alléger le processus, de réduire les frais administratifs et d’autoriser les entrepreneurs à faire des demandes de permis en ligne, notamment. Ses membres souhaitent aussi un allègement des règlements de zonage pour permettre aux propriétaires de maisons de les transformer afin d’y ajouter des logements.

Des villes s’associent également à des experts externes pour accélérer le processus de mise en chantier. C’est le cas de la ville de Saguenay qui, en association avec Promotion Saguenay ont annoncé, en mai 2023, la création d’une cellule de développement immobilier. Les deux organisations souhaitent faciliter le parcours des promoteurs immobiliers qui disaient rencontrer de nombreux obstacles à la réalisation de leurs projets.

En mai 2023 également, Centraide du Grand Montréal a tenu une journée intitulée Agir ensemble pour le logement. Cet événement se tenait en présence de plus de 400 acteurs de la communauté (citoyens, organismes communautaires, milieu des affaires, institutions, ainsi que les trois paliers de gouvernement) mobilisés afin de trouver des solutions durables à la crise du logement pour les personnes les plus vulnérables.

En juin 2023, la firme AppEco a déposé un rapport, commandé par l’ACQ, qui démontre le retard en productivité du secteur de la construction au Québec par rapport à la moyenne canadienne. Ce déficit de productivité est établi à plus de 10 % par rapport à l’Ontario. En août 2023, AppEco sort la 2e partie de son rapport et propose une solution novatrice de tâches de polyvalence pour réduire de 10 % les heures travaillées au Québec, ce qui permettrait ainsi d’accroître la productivité du secteur de plus de 4 %. Le ministre du Travail, Jean Boulet, déposera en février 2024 le projet de loi 51 modernisant le secteur de la construction en incluant la proposition des tâches de polyvalence. Le projet de loi sera adopté en juin 2024.

article dossier habitation economie sociale

Promouvoir l’économie sociale comme solution à la crise

En novembre 2023, l’Alliance des corporations d’habitations abordables du territoire du Québec (ACHAT) s’attend à ce que le modèle des organisations à but non lucratif pour offrir du logement abordable soit parmi les solutions priorisées dans le plan d’action en habitation que le gouvernement du Québec est sur le point de dévoiler.

« Le modèle de l’économie sociale est une méthode efficace pour protéger les locataires des hausses de loyer abusives causées par la spéculation immobilière. Nous croyons que le modèle est une pièce maîtresse d’une approche systémique pour contrer la crise du logement actuelle », a affirmé Sébastien Parent-Durand, directeur général de l’ACHAT.

En février 2024, Christian Savard, directeur de l’organisme Vivre en ville, abonde dans le même sens dans une lettre publiée dans le Devoir. « Il faut investir massivement dans la construction de logements à but non lucratif. Soyons clairs, le secteur privé a un rôle à jouer dans la résorption de la crise. Mais l’État doit appuyer le développement d’un secteur à but non lucratif beaucoup plus fort, qui contribuera à multiplier les logements, particulièrement dans des périodes comme celle-ci où le secteur privé peine à construire. Ce secteur non lucratif permettra évidemment de protéger durablement les plus vulnérables : si nous n’avions pas sous-investi dans le logement social depuis des décennies, la crise actuelle causerait moins de souffrances », mentionne-t-il dans sa lettre ouverte.

En avril 2024, le Groupe d’accélération pour l’optimisation du projet de l’hippodrome (GALOPH) concrétise cette façon de faire en créant un quartier qui sera situé sur le terrain de l’ancien hippodrome de Montréal et qui devrait permettre l’aménagement de plus de 10 000 logements à l’abri de la spéculation immobilière, notamment 4800 logements sociaux ou communautaires dont 60 % comporteraient trois ou quatre chambres à coucher.

article dossier habitation mises en chantier

Insuffisant pour répondre à la demande…

La crise du logement n’épargne pas la majorité des régions du Québec tandis que le taux d’inoccupation atteint un creux de 20 ans à travers la province, selon un rapport publié par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), en janvier 2024.

La SCHL recense une quarantaine de régions de plus de 10 000 habitants à travers la province. Pour toutes ces régions, le taux d’inoccupation est passé sous les 2 %. Dans les trois quarts des cas, le taux a reculé sous le seuil de 1 %.

Dans son rapport, la SCHL constate que la construction de logements n’est pas suffisante pour compenser l’augmentation de la demande à travers le Canada. Les conditions sont également difficiles pour les constructeurs qui doivent composer avec les taux d’intérêt élevés, l’augmentation des prix des matériaux et la pénurie de main-d’œuvre.

L’agence fédérale souligne que le taux d’inoccupation atteint un creux depuis 1988 au Canada. Le prix moyen d’un quatre et demi a augmenté de 8 % à travers le pays.

Le Québec doit composer avec les mêmes défis. La construction n’a pas été suffisante tandis que le flux migratoire de la province a plus que doublé avec l’arrivée de 150 000 immigrants temporaires en 2023, un record.

Aucun acteur n’a le pouvoir d’enrayer seul cette crise. Le temps des mesures disparates et isolées est révolu. Il faut maintenant ramer tous ensemble dans la même direction. Il faut que tous les acteurs de l’industrie s’assoient autour d’une même table pour établir conjointement les mesures prioritaires à mettre en place au Québec, s’entendre sur des cibles et sur les moyens de les atteindre.

article dossier habitation tissu social

Où est le plan d’action concerté ?

En juin 2023, dans une lettre conjointe destinée au premier ministre du Québec, François Legault, une série d’acteurs de différents milieux (social, communautaire, associations d’entrepreneurs et de promoteurs, ainsi que des municipalités), des milieux qui ne se parlent habituellement pas, demandait au gouvernement de coordonner rapidement une approche nationale concertée visant une sortie de crise avec tous les acteurs concernés, hors de leurs silos habituels.

En octobre 2023, ces mêmes acteurs de l’industrie relancent le gouvernement en proposant 9 leviers d’action que le gouvernement du Québec doit prioriser, dans le but de proposer des solutions à la crise de l’habitation.

Un an plus tard, le constat demeure le même. En effet, malgré la série d’actions entamées par les différents paliers de gouvernement et les différentes parties prenantes de l’habitation, les besoins en matière de logement au Québec sont tellement grands que seules une série d’actions concertées pourra contribuer à résorber cette crise à moyen et long terme.

C’est pourquoi les différentes associations, municipalités et organismes ont publié une nouvelle lettre ouverte en juin 2024, pour inviter les différents paliers de gouvernement à mettre fin au silo et coordonner une sortie de crise en réunissant autour d’une même table l’ensemble des parties prenantes de l’Habitation.

L’histoire reste à écrire, mais le regroupement qui s’est formé en 2023 pour demander au gouvernement du Québec un plan d’action concerté en habitation, poursuivra ses travaux au cours de la prochaine année dans l’espoir de trouver des solutions durables à la crise de l’Habitation.