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Construire 100 % québécois ?

Association de la construction du Québec
Actualités de la construction

© Marjelaine Sylvestre
Dans les jardins de Métis, en plein coeur du Bas-Saint-Laurent, s’érige une maison à haute valeur écologique, mais surtout, dont la majeure partie des composants proviennent du Québec. Nommée ERE 132, cette expérience pilotée notamment par le créneau ACCORD en écoconstruction, tente de réduite au maximum son empreinte écologique, tout en maximisant ses retombées régionales.

« Ce bâtiment met en valeur non seulement des produits du Québec, mais aussi des matériaux qui, pour la majorité, sont extraits de la région du Bas-Saint-Laurent », explique Emmanuel Cosgrove, directeur et cofondateur d’Écohabitation, organisme indépendant d’accompagnement en habitation durable ayant participé au projet. Les différentes essences de bois de la région s’y déclinent sous toutes leurs formes et partagent la vedette avec des matériaux comme de l’ardoise extraite de la mine Glendyle ou encore du granite noir du Saguenay-Lac-Saint-Jean.

Les constructeurs ont aussi opté pour du béton écologique produit localement, auquel on a ajouté une partie de cendre volante provenant principalement de la combustion du charbon, selon le site Internet d’ERE 132. « Insérée au béton, elle nécessite un temps de mûrissement plus long, mais contribue à augmenter la durabilité de l’ouvrage », explique-t-on.

Ça veut dire quoi, local ?

Si ERE 132 est un bon exemple de construction à saveur locale, est-ce pour autant possible pour un entrepreneur de bâtir une maison « locavore », autrement dit uniquement avec des matériaux du Québec ? La réponse varie selon les définitions ! « Pour Écohabitation, local signifie que le produit vient d’ici, de l’extraction jusqu’à la fabrication et la distribution », explique Emmanuel Cosgrove.

Selon lui, ériger une maison sans matériaux d’ailleurs s’avère donc mission impossible. « Il y a énormément de produits pétroliers dans nos bâtiments, alors que nous n’exploitons pas de pétrole. Alors oui, on peut acheter des panneaux de styromousse fabriqués ici, mais est-ce que c’est vraiment québécois pour autant ? Quand on remonte jusqu’à la source, ça se complexifie. »

Pour y arriver, il faudrait donc éliminer tout produit du plastique de la résidence. Idem avec le métal, dont la provenance réelle s’avère difficile à déterminer, ajoute-t-il. Malgré tout, si le calcul se fait aux dépenses et non au volume, il estime que la proportion de produits locaux peut atteindre jusqu’à 90 %.

De son côté, Alejandro Montero estime que le fait de bâtir une résidence 100 % québécoise serait une « tâche herculéenne ». Diplômé en architecture, il a longtemps été à la tête de sa propre firme d’architecture et de construction. Selon lui, il est difficile de savoir si chaque clou, fil électrique ou tuyau de plomberie est local… Préoccupé par les questions environnementales, il a même participé à l’émission « Les artisans du rebut global », où un groupe devait ériger une habitation uniquement d’éléments recyclés. Pour lui, comme pour d’autres, la question de la distance est aussi importante pour déterminer ce qui est local ou non. « Il faut alors se demander s’il est mieux d’acheter en Nouvelle-Angleterre qu’à Chibougamau », cite-t-il en exemple.

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Jardins de Métis 
© Gisèle Teyssier

À l’autre bout du spectre, Richard Darveau, président et chef de la direction de l’Association québécoise de la quincaillerie et des matériaux de construction (AQMAT) est convaincu qu’il est possible d’ériger une habitation « made in Québec ». En effet, selon les données de l’association, le Canada compte plus de 500 usines, dont le tiers sont exploitées au Québec, qui sont spécialisées dans la production d’articles de quincaillerie et de matériaux de construction destinés au marché résidentiel. « Nous sommes capables de construire une maison de A à Z, y compris la domotique ! », s’enthousiasme-t-il.

« Mais pour y arriver, il faut s’aligner sur les critères mondiaux de ce qui est local comme ce qu’on voit au Japon et en Allemagne. Pour eux, il faut que 51 % des coûts de fabrication soient effectués localement », nuance-t-il. Car, mettre de l’avant les produits uniquement composés d’ingrédients d’ici s’avère très complexe, en plus d’exclure plusieurs fabricants. « Si on prend l’exemple de la peinture, plusieurs entreprises québécoises en font, mais les produits qui la composent sont parfois achetés ailleurs. Même chose si on regarde pour un bain : est-ce que la couche d’émail et les pattes proviennent d’ici ? » Une lourde tâche !

C’est pourquoi en lançant « Bien fait ici » en 2018, l’AQMAT a décidé de se baser sur la norme internationale et de miser uniquement sur le lieu de fabrication des produits. Ainsi, pour arborer le logo de ce programme canadien, les produits doivent non seulement répondre aux normes de qualité de l’industrie, mais il faut également qu’au moins 51 % des coûts de fabrication aient été effectués au pays (en excluant les frais de recherche, de design et de transport). Ainsi, même les compagnies étrangères qui opèrent des usines au pays sont admissibles. Une façon d’encourager l’économie locale, alors que plusieurs ont délocalisé une partie de leur production, précise Richard Darveau.

Mortier, peinture, chauffe-eau, teinture, gravier… Déjà, près de 90 fabricants, dont une cinquantaine au Québec, ont joint le mouvement. Et le logo pourrait devenir de plus en plus présent dans les quelque 2 500 quincailleries et centres de rénovation, alors que l’AQMAT estime que près de 10 000 gammes de produits sont fabriquées au Canada ! Autant de possibilités pour les « locavores » de l’immobilier !

Des filières à suivre

Panneaux de gypse fabriqués de matières recyclées, isolants en fibres de bois récupéré, de chanvre ou de paille, colles créées à partir des tanins d’épinette et même pare-vapeurs composés de… rognures de carottes : plusieurs produits font leur apparition dans le paysage de la construction, ou sont en train d’être développés en laboratoire ! « Tous les matériaux qu’on appelle biosourcés suscitent beaucoup d’intérêt actuellement », observe Emmanuel Cosgrove.

Ces derniers, composés de matière organique végétale, laissent entrevoir d’intéressantes possibilités. « Cela permet d’utiliser des matières naturelles, comme le bois, le chanvre, la cellulose ou les résidus forestiers dans nos bâtiments », poursuit-il. Une avenue prometteuse qui se développe notamment en Europe et qui permet d’augmenter et de mettre en valeur des ressources locales.

« Le gouvernement encourage également l’utilisation de tous les types de bois dans la construction », ajoute-t-il. En effet, le bois récolté dans nos forêts permet non seulement de créer les éléments structurels d’une habitation, mais sert aussi pour le plancher, les moulures, les armoires, le mobilier intégré, le revêtement extérieur, les murs, le toit et même l’isolation. Un choix qui peut offrir des avantages pour la communauté, estime Emmanuel Cosgrove. « Une maison vendue 300 000 $ dont le bois serait extrait et transformé sur place permet 80 000 $ en retombées locales », selon les données recueillies par Écohabitation lors d’une recherche avec une MRC.

Les défis de l’approvisionnement local

Mais, peu importe ce qu’on entend par local, décider d’augmenter la part de composants québécois dans ses édifices comporte de multiples défis. Si dans des projets certifiés Leadership in Energy and Environmental Design (LEED), une personne est souvent chargée de vérifier la provenance des matériaux un à un, rares sont les entrepreneurs qui ont le temps de s’y plonger ! « Il faut aller sur les sites des manufacturiers et l’information y est plutôt… variable », ajoute Richard Darveau. D’où l’importance de programmes comme « Bien fait ici », ajoute-t-il. L’AQMAT travaille d’ailleurs actuellement pour qu’en mettant son téléphone devant le logo, le client ait accès à de l’information en magasin.

Autre difficulté : certains produits extraits, transformés et vendus ici sont encore artisanaux. Ce qui convient mieux aux autoconstructeurs, estime Alejandro Montero. Dans ce cas, l’approvisionnement
peut être inégal et devenir tout un casse-tête pour les entrepreneurs en construction. D’autres mettent un certain temps à être homologués, poursuit-il. De plus, les entrepreneurs ont souvent leurs habitudes,leurs fournisseurs et leurs façons de faire, ajoute-t-il. « Le prix pour ces produits est parfois aussi plus élevé, ce qui pourrait décourager certains de faire ces choix. »

Même si l’achat local n’est pas nécessairement synonyme d’écologie, la tendance ne risque pas de s’essouffler pour autant. « C’est une composante du développement durable qui touche les questions sociales », explique Emmanuel Cosgrove. Déjà, 54 % des Québécois disent qu’ils consomment souvent des produits locaux, selon le Baromètre de la consommation responsable, édition 2018. Les entrepreneurs ont donc tout avantage à s’y mettre. Emmanuel Cosgrove évoque même l’idée d’une appellation comme « Bâtiment Québec », un peu à l’image d’Aliments du Québec. « Nous serions partants pour lancer le mouvement avec des partenaires de l’industrie », lance-t-il. Une histoire à suivre ?

 À découvrir

Un thermostat intelligent québécois

Un thermostat permettant de contrôler à distance la température de la maison ? S’il existe plusieurs possibilités sur le marché, la compagnie CaSA a conçu un produit original,
entièrement fabriqué dans son usine de Saint-Mathieu-de-Beloeil. L’entreprise a aussi créé d’autres produits comme un contrôleur qui transforme votre chauffe-eau en… batterie.Des idées à découvrir pour rendre sa maison intelligente !
casa.energy/fr/caleo/

 Panneaux isolants de fibres recyclées

Autre entreprise qui se démarque : MLS, une PME de Louiseville qui fabrique des panneaux pour l’insonorisation, l’isolation et les toitures commerciales à base de fibre de bois recyclée. « Nous nous approvisionnons dans des sites de récupération du bois. Le plus loin que nous allons c’est Mirabel. Et nous redonnons une deuxième vie au bois qui a été rejeté pour la construction de meubles par exemple, qui est trié et nettoyé », indique Sébastien Beaulieu, représentant.

article materiaux quebecois eco

Selon les données de l’entreprise, MLS recycle environ 25 000 tonnes de bois par année, soit l’équivalent de près de 85 millions de pieds carrés de panneaux pour le secteur de la construction. Ce qui permet de sauver plus de 300 000 arbres chaque année, calcule l’entreprise. « Si l’on calcule que MSL existe depuis plus de 30 ans, elle a permis de sauver plus de 9 millions d’arbres ! »
mslfibre.com/

Peinture

Au rayon de la peinture, « Bien fait ici » regroupe cinq fabricants québécois, comme Denalt qui commercialise la marque Avanti et les marques maisons de Canac et de Matériaux Pont-Masson, la peinture MF, faite à Laval ou la Laurentide qui produit aussi la peinture Boomerang. UPC (Premier, Solignum) et Micca proposent également leurs gammes « made in Québec ».

Du quartz d’ici

La compagnie DuPont extrait et transforme le quartz d’ici, selon Emmanuel Cosgrove d’Écohabitation. Commercialisé sous le nom de Corian, ce mélange de quartz et de résine principalement québécois constitue une bonne option pour les comptoirs de cuisine et de salle de bain, selon l’organisme.

Plastique recyclé en matériaux de construction 

Écohabitation suggère plusieurs idées de matériaux fabriqués non seulement au Québec, mais qui donnent une nouvelle vie au plastique. Par exemple, tant Dekavie que Re-Plast le transforment en planches durables pour les patios. L’entreprise Les dalles vertes utilise quant à elle ce matériel pour créer des pavages perméables alvéolés tandis que le plastique entre dans la composition de la dalle écologique de Gaudreau Environnement, créée aussi à partir de verre et de porcelaine recyclés, précise l’organisme.

Gypse recyclé

Dans plusieurs cas, les panneaux de gypses sont fabriqués au Québec et parfois même de matières recyclées, selon Écohabitation. L’organisme suggère les produits de CGC et de CertainTeed, qui proposent des gypses synthétiques composés de matières recyclées postindustrielles.

Du béton nouveau genre

Autre proposition d’Écohabitation : le béton agrémenté de… poudre de verre. Une façon de réutiliser les bouteilles qui se retrouvent à la collecte sélective, tout en diminuant la part de ciment dans le béton, une composante « à l’empreinte écologique élevée », estime l’organisme. Cet ajout cimentaire, nommé VERROX, a été conçu et est toujours fabriqué par Tricentris, situé à Lachute dans les Laurentides. Une possibilité à découvrir.

En savoir plus 

Bien fait ici

Plusieurs infos disponibles sur les 90 entreprises qui ont joint le programme jusqu’à maintenant.
ici-here.ca/

Écohabitation

Bien sûr, le développement durable est au coeur de la démarche de cet organisme, ce qui inclut aussi l’aspect local. Ainsi, plusieurs produits y sont présentés au fil des articles et sections.
ecohabitation.com/

Créneau accord en écoconstruction

Il peut être intéressant de fouiller parmi les membres de ce créneau, qui regroupent différentes entreprises de la construction d’ici !
creneau-ecoconstruction.com/

Québox

Initiative de Québec International et du créneau ACCORD-Bâtiment vert et intelligent, Québox est une véritable vitrine au savoir-faire d’ici en cette matière ! Vous y trouverez d’ailleurs
une matériauthèque virtuelle permettant de découvrir une quinzaine de manufacturiers et plus de 80 produits, matériaux, technologies et systèmes constructifs québécois.
quebox.ca/