Système intérieur GPBR inc. c. l’Agence du revenu : vers la Cour suprême ?

Audrey-Anne Guay‏, avocate
Audrey-Anne Guay‏, avocate
Chroniqueur Juridique

Tout près de deux ans après la décision Système intérieur GPBR inc. c. Québec (Agence du revenu), 2013 QCCQ 12689, la Cour d’appel se prononce, casse le jugement de première instance qui avait soulevé bien des opinions à l’époque et donne raison à l’Agence du revenu. Pour l’industrie et pour la compréhension de nos entrepreneurs sur les attentes de l’Agence du revenu en matière de responsabilité, de prudence et de diligence, il est important de faire le point sur cette récente décision : Agence du revenu du Québec c. Système intérieur GPBR inc., 2015 QCCA 1402.

Les faits

Système intérieur GPBR inc. (« GPBR ») est une entreprise familiale spécialisée dans la pose de gypse et le tirage de joints. Elle fait affaire avec de nombreux sous-traitants, principalement pour la pose de gypse, exécutant toutefois le tirage de joints elle-même, avec ses actionnaires/employés. En juin 2007, l’Agence du revenu (« l’Agence ») soupçonne GPBR d’être impliquée dans un réseau d’entreprises utilisant la fausse facturation ou la facturation de complaisance pour frauder le fisc. L’Agence prétend que près de 60 % des factures produites par GPBR en réclamation de remboursements/crédits de taxes sur intrants (« CTI ») proviendraient d’entreprises fournisseuses de fausses factures. L’Agence adresse donc à GPBR un avis de cotisation de l’ordre de 79 000$ en remboursement de CTI. Cette dernière s’y oppose. En mai 2010, Revenu Québec décide de maintenir la cotisation intégralement. En septembre suivant, GPBR interjette appel de cette cotisation devant la Cour du Québec.

Rappel des grandes lignes du jugement de la Cour du Québec

GPBR a soulevé que les factures fournies représentaient réellement le travail effectué par les sous-traitants et qu’elle n’a retiré aucun avantage illégal en faisant affaire avec ces compagnies. Elle a maintenu que ces entreprises devaient être considérées comme des « intermédiaires » au sens de la Loi sur la taxe de vente du Québec « LTVQ » et de son Règlement d’application (Règlement sur la taxe de vente du Québec ). Elle considère avoir rempli les exigences légales pour avoir droit aux CTI. Elle a ajouté ne pas avoir eu connaissance des faits et ignorait les activités illégales des entreprises lui ayant facturé les services rendus. Elle vérifiait généralement la validité des numéros TPS/TVQ des entreprises sous-traitantes, l’immatriculation au Registre des entreprises du Québec ainsi que celle à la Régie du bâtiment du Québec à des fins de vérifications de l’existence légale de ces entreprises avant de payer la facture.

L’article-clé de la LTVQ en matière de CTI est le suivant :

« 201. Un inscrit ne peut demander le remboursement de la taxe sur les intrants pour une période de déclaration, à moins qu'avant de produire la déclaration dans laquelle le remboursement est demandé :
1° il obtienne une preuve suffisante dans une forme contenant les renseignements permettant de déterminer le montant de ce remboursement, y compris tout renseignement prescrit; […] » [notre emphase]

Les renseignements prescrits se retrouvent aux articles 201R1 à 201R5 du Règlement d’application, plus précisément à l’article 201R4 pour le cas présent :

« 201R4. Dans le cas où le montant total payé ou payable qui est indiqué sur la pièce justificative à l'égard d'une ou de plusieurs fournitures est de 30 $ ou plus et de moins de 150 $, les renseignements prescrits sont les suivants :
1° le nom du fournisseur ou de l'intermédiaire à l'égard de la fourniture ou celui sous lequel il fait affaire et le numéro d'inscription attribué au fournisseur ou à l'intermédiaire conformément à l'article 415 de la Loi, selon le cas; […] »

La notion d’intermédiaire est également prévue à l’article 201R1 :

«intermédiaire» d'une personne signifie, à l'égard d'une fourniture, un inscrit qui, agissant à titre de mandataire de la personne ou en vertu d'une convention conclue avec la personne, lui permet d'effectuer la fourniture ou en facilite la réalisation;

Il faut savoir que selon l’article 1014 de la Loi sur les impôts, les cotisations émises par l’Agence sont présumées valides. Cette présomption peut être renversée par une preuve prima facie, soit une preuve suffisante pour établir un fait jusqu’à preuve du contraire.

Le juge de première instance a considéré que la preuve démontrée par GPBR était suffisante, cette dernière a fourni à l’Agence les renseignements prescrits nécessaires à l’obtention de ses CTI. Son droit aux CTI n’est pas affecté par l’émission de factures de complaisance de la part des entreprises l’ayant facturée. Selon lui, la Loi n’impose pas un devoir de vérification

« [104] Cela ne veut pas dire qu’une entreprise ne doit pas procéder à certaines vérifications si elle veut se protéger contre les fraudeurs, mais on ne peut ériger ces vérifications en exigences légales pour l’obtention des RTI si elles ne sont pas prévues à la Loi. »

Analyse de la Cour d’appel

L’Agence soulève trois motifs en appel :

  1. Le juge a erré en droit en concluant que la facturation par personnes interposées était permise. Selon l’Agence, les entreprises qui ont facturé ne sont pas des « intermédiaires » au sens des dispositions applicables.
  2. Le juge n’aurait pas dû accorder de l’importance à la bonne foi de GPBR. Les exigences prévues au Règlement d’application doivent être remplies et vérifiées sans égard à la bonne foi.
  3. Le juge a erré en droit en concluant que l’Agence ajoutait des exigences de vérifications non prévues à la Loi. Le devoir général de prudence et de diligence est nécessaire pour s’assurer que les factures respectent les exigences réglementaires en ce qui a trait aux CTI.

La Cour a étudié deux aspects : 1) l’exactitude de l’avis de cotisation de l’Agence et sa présomption de validité et 2) la bonne foi et le devoir de vérification.

En ce qui a trait à l’avis de cotisation, la Cour affirme que le Juge de première instance a commis une erreur de droit dans l’interprétation du Règlement d’application.

« [38] En vertu des articles 201R1 à 201R5 du Règlement, seules les factures présentées par un fournisseur, son mandataire, c’est-à-dire une personne qui a le pouvoir de le représenter dans l’accomplissement d’un acte juridique avec un tiers, ou encore, celles présentées par une personne qui, en vertu d’une entente, a permis au fournisseur de rendre le service ou en a facilité la réalisation, peuvent donner lieu à un CTI. Dans tous les cas, la facture doit émaner d’un Inscrit qui détient un intérêt à effectuer la facturation, ce qui exclut d’emblée la facturation de complaisance ou pis encore, la fausse facturation.

[39] En adoptant les articles 201R1 à 201R5 du Règlement, l’intention du législateur n’était certes pas de permettre à un ouvrier non inscrit qui fournit des services, de se les faire payer en ayant recours à la facturation de complaisance d’un Inscrit qui n’a aucun intérêt à les facturer. Cela me paraît d’autant plus vrai dans les cas où, comme celui en l’espèce, les fournisseurs non inscrits, mais qui auraient dû l’être, facturent leurs services par le biais de sociétés bidon qui obtiennent frauduleusement des CTI et ne se soucient nullement d’encourager ainsi le travail au noir.

[40] Au contraire, ces dispositions réglementaires visent précisément à prévenir le recours à la facturation de complaisance, qu’elle soit ou non frauduleuse. Les tribunaux l’ont d’ailleurs maintes fois rappelé. Les exigences réglementaires comme celles prévues aux articles 201R01 à 201R05 du Règlement visent à protéger le Trésor public contre toutes les violations, qu’elles puissent être qualifiées ou non de frauduleuses. Ces exigences sont strictes et obligatoires. Elles doivent être rigoureusement satisfaites par tout inscrit qui demande un CTI, à défaut de quoi le CTI ne peut lui être accordé. » [Notre emphase] [Références omises]

Elle conclut que les factures remises par GPBR pour obtenir le remboursement des CTI ne satisfont pas aux exigences légales.

En matière de bonne foi, la Cour est formelle, cela ne constitue pas un critère d’appréciation d’une demande de CTI. Elle revient également sur l’affirmation du juge de première instance concernant le fait que la Loi n’impose pas un devoir de vérification.

« [46] Cette conclusion me paraît erronée, voire même dangereuse en ce qu’elle fournit une indication qui, si elle est suivie, peut s’avérer lourde de conséquences. S’il est vrai que la Ltvq et le Règlement n’imposent pas expressément un devoir de vérification à l’Inscrit, elle le fait indirectement en imposant des exigences strictes pour l’admissibilité d’un CTI. L’Agence a donc raison d’affirmer que l’inscrit a un devoir de vérification. Celui-ci découle implicitement des exigences que posent la Ltvq et le Règlement eu égard à l’admissibilité d’une demande de CTI. »

[…]

[48] Pour s’assurer que ses demandes de CTI soient recevables, un Inscrit a tout intérêt à vérifier si les factures qui lui sont remises par ses fournisseurs émanent bel et bien de ceux qui lui fournissent le service, de leur mandataire ou des personnes qui leur ont permis de l’effectuer ou en ont favorisé l’exécution. S’il ne le fait pas, les conséquences pourront s’avérer lourdes de conséquences. Il pourra devoir assumer des pertes importantes si, comme dans le cas de GPBR, les CTI qu’elle réclame sont fondés sur des factures de complaisance ou des fausses factures.

[49] Le devoir de vérification et de diligence d’un Inscrit est capital, et ce, pour sa propre protection. » [Notre emphase]

Commentaires

Cette décision est plutôt dure à l’égard des entrepreneurs. Les exigences requises pour opérer une entreprise semblent être de plus en plus imposantes; la liste ne cessant de s’allonger. Ce devoir de vérification s’ajoute au fardeau des entreprises qui seront bientôt dépassées par toute cette lourdeur administrative. Les avocats de GPBR souhaitent porter le jugement devant la Cour suprême pour donner aux entrepreneurs, de façon générale, le fin mot de l’histoire sur les exigences légales afin qu’ils puissent ensuite s’armer en conséquence devant l’Agence du revenu.

 

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